éclair barréComment reagir face à la douleur persistante en réhabilitation ? A propos de l’utilisation des données en santé

Le 07/04/2021
Disclaimer ! Cette réflexion est applicable uniquement aux douleurs persistantes (stagnantes depuis plus de trois mois), sinon il m'apparait essentiel de ne pas favoriser d'attitude entrainant des réveils douloureux, car ceci entraine un risque d'abimer des structures ou de chroniciser la douleur en accoutumant le système nerveux central (cerveau et moelle épinière) à cela. [1]

Quand on présente des douleurs persistantes, on est en droit de se poser la question "Si j'ai mal en faisant un exercice, à quel moment dois-je m'arrêter?". On retrouve régulièrement les réponses suivantes. Il faut s'arrêter à "l'absence de douleur". Ou il faut s'arrêter à "une gêne qui ne soit pas vraiment une douleur, à maximum 2/10" (le delta à partir duquel on considère une différence significative dans les études sur le sujet). Ou "on autorise une douleur légère" (c'est à dire inférieur à 4/10)[2]. Si le sujet avait déjà mal à plus de 2/10 dans son quotidien, la réponse est de ne pas la majorer de plus de 2 deux points supplémentaires. Mais ces réponses peuvent sembler très dogmatiques et il serait intéressant de savoir comment mieux répondre à cette question.

EVA
Le niveau de douleur normalement acceptable

La rééducation aujourd'hui ne consiste plus uniquement à aider une structure anatomique à cicatriser (ancien modèle biomédical, ex: une lésion d'un ligament dans une entorse), mais aussi à redonner de la fonction à ce système ("nouveau" modèle bio-psycho-social, ex: reprendre le foot sans douleur après l'entorse [3]). Dans le cadre des douleurs de plus de trois mois, la grande majorité des structures anatomiques sont déjà cicatrisées (bien qu’ils continuent encore de se remodeler pendant encore potentiellement deux ans), que ce soit les os ou les tissus mous (muscles, ligaments, tendons, ménisques, disques intervertébraux, cartilage...). [4,5]

tir de Football
Plus que cicatriser, redonner de la fonction

Le premier but à atteindre est donc de retrouver cette ou ces fonctions, que l'on peut coter à l'aide de marqueurs. Des marqueurs objectifs tels que la distance maximale faisable en course à pied, et des marqueurs subjectifs, par exemple en se mettant soi-même une note fonctionnelle entre 0 et 10 sur ses capacités à jouer au foot [6]. L'objectif secondaire intimement lié à celui-ci est de ne plus ressentir de douleur, cotable également sur 10.

EVA douleur fonction
Notation personnelle de la douleur et la fonction

Notre objectif total ne peut être pleinement atteint que si les deux composantes de l'objectif sont toutes les deux réunies. L'optimum en rééducation consiste donc à augmenter les capacités fonctionnelles en même temps qu'on diminue la douleur et que ces objectifs soient pleinement atteints dans le même temps.

Evolution optimale a l'EVA
Situation optimale en rééducation

Mais plutôt que de se focaliser sur la douleur, parlons plutôt de sensations, qu'on évaluera de la même manière que l'EVA entre 0 et 10 mais en inversé (une douleur à 2/10 correspondra à des sensations à 8/10). Cela peut sembler très positiviste mais n'oublions pas que la confiance en ses capacités à aller mieux et l'optimisme sont des critères jouant un rôle significatif dans notre amélioration. Ici, l'idéal en réhabilitation ne serait plus que les courbes divergent mais qu'elles évoluent toutes deux vers le haut.

Evolution optimale à la sensation
Situation optimale en rééducation axée sur les sensations plutôt que la douleur

Nos objectifs personnels doivent avant tout primer. Ils peuvent mettre la priorité sur l'une des composantes plus que l'autre. Par exemple réussir à monter deux étages quitte à voir ses sensations stagner, ou inversement différer les progrès quelques temps afin de mieux se sentir. Il faut cependant garder en tête qu'il faudrait ensuite prolonger les efforts pour réussir à atteindre plus tard l'objectif mis de côté.

EVA axée fonction
Evolution axée sur la fonction
EVA axée sensations
Evolution axée sur les sensations

Ceci dit, nous ne prédisons pas l’avenir et ne pouvons pas savoir comment va évoluer la courbe. A défaut de mieux il faut bien un point de départ et nous pouvons nous appuyer sur la douleur de la première session après le bilan kiné (soit la première session protocolisée). Mais malheureusement cette douleur fluctue trop, rappelons que la douleur est parfois inertielle (on peut la sentir en fin de journée, ou le lendemain par exemple)[7] et surtout que c'est une expérience subjective dépendant d'éléments qui peuvent varier d'un jour à l'autre (stress, fatigue, peur...)[8]. Nous aurons une idée bien plus précise (même si elle ne sera pas fiable à 100%) qu’une fois que nous aurons atteint un nombre suffisant de données pour en ressortir une tendance. Le but ici n'est pas de s'hyperfocaliser sur la douleur pendant la séance, mais une fois celle-ci terminée de faire l'état des lieux de ses sensations, en les notant et en précisant les éléments susceptibles d'entrainer des modifications de sensation (nuit difficile, petite forme...). Si les applications sportives s’y mettent, prenons exemple sur eux.

Application running
Sensations sur une application de course à pieds

Et n'oubliez pas, s'il arrivait de gagner très peu entre chaque session, ce n'est pas forcément qu'en augmentant l'intensité qu'il faut faire des changements mais surtout en augmentant la fréquence (en auto-traitement). Pour multiplier les gains, multiplions les sessions ! Cela se traduit par des sessions très fréquentes (quasi quotidiennes).

Basse fréquence d'exercice
Peu d'entraînement, peu de progrès
Haute fréquence d'exercice
Entrainement à intensité modéré mais à une haute fréquence

Enfin, dernier rappel : les objectifs qu’on se fixe doivent être mis en adéquation avec les efforts qu'on est prêt à mettre pour les atteindre. Ce n'est pas grave si l’on progresse moins vite qu'on ne pourrait, si c'est ce qu'on souhaite. Si ce n'est pas le cas, il faut prendre conscience de sa propre ambivalence.

balance objectifs-moyens
L'équilibre entre les objetifs et les moyens

A l’inverse, pour ceux qui ont tendance à y aller trop fort malgré eux, il est nécessaire de prendre conscience des possibilités de guérison spontanée du corps mais aussi des limites de sa vitesse de récupération. Et si vous ne pouvez pas beaucoup augmenter la quantité de contraintes mécaniques, concentrez-vous sur la qualité ! Oui, il est plus simple d'y aller fort sans réfléchir, car réfléchir, c’est fatiguant ! C’est de la charge cognitive en plus ! Mais faites l’effort de contrôler l'exécution et vos perceptions, cela peut vous permettre de faire mieux et de faire plus. Pour cela :
1. Concentrez-vous sur le geste à exécuter pour mieux le maîtriser

mouvement contrôlé
Le contrôle

2. Concentrez-vous sur vos perceptions pour mieux identifier vos limites (par exemple certains signes avant-coureurs d’une douleur qui aurait lieu après à froid)

feedback de la douleur
Etre à l'écoute de ses sensations

3. Ne faites pas d’économie d’effort et contractez vos muscles pour qu’ils absorbent la contrainte à la place des autres structures. L’amorti généré permet éviter les phases d’accélération ou de décélération brusque (qui sont pour nous des accélérrations en sens opposée) donc les contraintes. En course à pied par exemple, cela se traduit par une diminution du bruit du pied contre le sol, et une augmentation de la fréquence de pas (avec un idéal autour de 180 pas par minute, pour cela téléchargez une application métronome).[9]

controle musculaire
Faire travailler ses muscles pour amortir

4. Faites les mouvements au ralenti au début, voir en statique si besoin, avec des séries étirées (par exemples faciles mais à répéter 30 à 50 fois) puis au fur et à mesure des séances, augmentez l'intensité et diminuez le nombre de répétitions, jusqu'à potentiellement arriver en fin de rééducation à votre maximum sur 1 répétition.

Alors, au final, que répondre à la question " Quand doit-on s'arrêter face à la douleur " ? Pour l’instant essayez de faire le maximum qui permette, avec la multiplication de vos sessions, de ne pas augmenter la douleur et idéalement qui la fait diminuer. Surtout mettez en place les bonnes pratiques pour estimer votre évolutions, prenez des marqueurs d’amélioration de vos fonctions, annotez-y à chaque fois votre douleur et les éléments externes pouvant jouer dessus sur le moment, définissez vos objectifs et priorités de fonctions et de douleur, et accumulez suffisamment d’informations pour pouvoir en tirer une tendance.
Bon courage, et surtout rappelez-vous, cet article n'a qu'un objectif pédagogique et n'a pas vocation à remplacer l'expertise de votre professionnel de santé.

Références (cliquables):
1. Le site de Laurent Fabre sur la douleur
2. Liste des échelles acceptées de la douleur de la HAS :
3. Le modèle Bio-psycho-social
4. Les consolidations osseuses
5. Les cicatrisations des tissus mous
6. L’échelle fonctionnelle spécifique des patients validée pour de nombreuses pathologies
7. Les signes de relance de la douleur et la contrainte mécanique
8. Le PDF explicatif du Dr Greg Lehman
9. La fréquence de pas

Florent VIOSSAT